Madame Butterfly à Vienne - Orient mystique, passion et ferveur
Le décor semble tiré d’une gravure japonaise : une maison de bois traditionnelle, modeste et dénudée, des cerisiers, un pont sur la rivière et une vue sur la mer au lointain. La direction musicale de Graeme Jenkins est de la même efficacité et expressivité, sensible à chaque changement d’aspects. D'emblée et continuellement, au fil de l'écriture fuguée, à travers le dialogue entre les cuivres et les pizzicati (cordes pincées) des violons, avec également le comique et l’ironie d'une irruption musicale fière et brillante.
Le ténor Fabio Sartori incarne un Pinkerton franc et fier, sans oublier cependant cette portée ironique du personnage (Américain voyageur-lo Yankee vagabondo). La première aria et la prime ardeur démontrent la richesse et la puissance de sa voix en même temps que la jouissance narcissique du personnage. Son timbre relève bien du bel canto classique, et l'impeccable maîtrise reste constante. Son articulation et sa respiration demeurent sans failles même aux notes les plus hautes. La brillance de sa voix est particulièrement saillante lors des crescendi lyriques, notamment la séduction à la fin du premier acte.
La soprano dramatique Sae Kyung Rim impressionne également l'assistance dans le rôle principal. Elle assume sans hésitation et immédiatement sa présence scénique poignante, à l'image de sa voix, épaisse et éclatante mais qui sait ménager la complexe évolution psychologique de la jeune fille naïve (par un fin dessin vocal et de radieuses harmoniques). Son échange avec le ténor offre un harmonieux paroxysme lyrique à la soirée (Stolta paura, l'amor non uccide-Pauvre petite, l’amour ne tue pas). Mais, l’engagement dramatique de la soprano sait également jouer le comique quand il faut. Elle joue de pentes vocales pour épicer des paroles moqueuses. Nullement soumise, son caractère est de ferveur et sa colère rappelle même son Abigaille à Athènes en 2018. Enfin, Sae Kyung Rim atteint au tragique du rôle, aveuglé à la fois par la tristesse et la honte, dans une ultime lamentation à la puissance retenue puis martelée en accents de souffrance, et mis en relief sur le long legato qu’elle adresse à son petit enfant (Tu? tu? tu? tu? Piccolo iddio!-Vous ? Petit dieu !).
La ferveur expressive du couple tragique est soutenue par les seconds rôles qui les entourent. L’agent matrimonial Goro, incarné par Michael Laurenz, fournit un appui dramatique et comique par son jeu et sa voix. Son habileté de ténor de caractère est mise en valeur de manière stratégique (ponctuant ses accents vocaux). Davantage dans le domaine lyrique, le consul Sharpless du baryton Gabriel Bermúdez se fait remarquer par la solidité et la consistance de son timbre. De bout en bout, il mène son rôle avec sensibilité et empathie, surtout pendant ses échanges avec Butterfly : dans le deuxième acte, où il lui lit la lettre de Pinkerton, et dans le troisième acte, peu avant le suicide de Butterfly. L’autre personnage important qui tourne autour de Butterfly est sa servante Suzuki, incarnée par la mezzo Bongiwe Nakani. Son timbre de velours est capable de percer quand le drame le nécessite. La maîtrise de la voix et la respiration sont également remarquées.
Dans les rôles plus seconds, l’oncle Bonze incarné par Alexandru Moisiuc déclenche un coup de terreur quand il maudit Butterfly à cause de sa conversion religieuse. Sa présence scénique, quoique brève, est imposante. Peter Jelosits en Yamadori se trouve parfois en difficulté vocale, mais est néanmoins généralement convaincu. Enfin, la soprano Valeriia Savinskaia, dans le rôle de Kate, la femme américaine de Pinkerton, met la douceur de son timbre en valeur par le biais du contraste avec la ferveur de Butterfly.
Cette production montre ainsi les riches complexités du drame, renforçant la tension lyrique par l’inertie du décor. La beauté de l’ambiance mythique du cadre scénique en contraste avec la cruauté de la tragédie impose le décalage cruel sur lequel repose la tragédie même de Butterfly.